Deuxième décennie du XXIe siècle. Les médias annoncent que le monde est connecté. Sur le net, l’impression que la population globale puisse accéder à une myriade de plateformes portant sur le cannabis dit thérapeutique est de plus en plus charnelle. Devenu légal, un cannabinoïde y est massivement exploité par des entrepreneurs de tous calibres : le CBD. Les blogs et forums virtuels offrent une pluie d’interrogations au sujet de sa préconisation. Est-il possible de le préconiser aux enfants ? Aux personnes âgées ? Aux personnes suivant un traitement pharmaceutique ? Dans quelles conditions ?
Bien sûr, aucune raison pour que nos animaux de compagnie échappent à ce spectacle de l’interrogatoire. Ci-après, une tentative de réflexion faite dans le sens de savoir non pas si oui ou non nous pouvons préconiser du CBD aux animaux mais quelles sont nos conditions de possibilité lorsqu’il s’agit de raisonner dans ces termes.
Vision médicale de l’animal de compagnie
L’accès libre au Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine dans sa version virtuelle est pour tout curieux une occasion en or de se renseigner sur l’entourage lexical du CBD dans les normes de la sécurité scientifique. Même s’il ne s’agit pas d’une source directement liée au chanvre, ce dictionnaire permet notamment d’obtenir des outils nous permettant de savoir dans quelle mesure le vocabulaire utilisé dans les discours contemporains autour du cannabis thérapeutique relèvent d’une juste connaissance en la matière.
L’entrée du vocable « animal » dans la barre de recherche dudit dictionnaire informatique débouche sur dix articles dont le premier concerne justement le sujet qui nous anime : l’« animal de compagnie ». En guise de définition, la glose suivante s’affiche : « animal domestique que des personnes entretiennent près d’eux dans la vie quotidienne pour leur agrément ». Outre le fait que cette phrase n’excelle pas par sa beauté et qu’elle ne soit pas un modèle de syntaxe, il faut noter que son contenu, vague qu’il soit, rime avec celui du commun des mortels. Autrement dit, rien ne nous empêcherait après sa lecture d’affirmer que le mot des médecins ne nous apprend rien quand il s’agit de savoir ce qu’est un animal de compagnie. Ce qui n’est pas un mal en soi, pour peu qu’on prenne ce phénomène comme un signe de partage de connaissances.
Par-delà ces constats préliminaires, on peut aussi profiter de cette occasion pour répéter en passant avec le dico des toubibs que « les chiens d’aveugles contribuent à la sécurité des malvoyants » tout en entrant dans la catégorie des animaux de compagnie. Par ailleurs, on peut affirmer que si l’Académie de Médecine confirme par le biais de son dictionnaire que « certaines maladies pouvant se transmettre de l’animal à l’Homme, des vaccinations sont recommandées pour les animaux de compagnie, autant pour leur protection que pour celle des personnes », la porte est ouverte pour que des questions concernant la médicalisation naturelle des animaux soient légitimement posées.
Mais comment prescrire ? Comment, par exemple, se prendre éthiquement pour préconiser des médicaments de prévention aux animaux domestiques ? N’étant ni pharmaciens ni médecins, nous faisons appel pour développer ces questions à certains points de l’évolution terminologique dans l’histoire de la langue et de la pensée.
La notion de préconiser, un rappel historique
D’après le dictionnaire Littré du XIXe siècle, préconisation est un terme qui désigne l’« action par laquelle un cardinal ou le pape déclare en plein consistoire qu’un tel, nommé par son souverain à tel évêché ou à tel bénéfice, a les qualités requises ». Au sein de ce même siècle, préconiser veut aussi dire « louer excessivement », autrement dit, « flatter ». Il y a aussi la forme réflexive se préconiser, qui veut dire, tout simplement, « se vanter ».
Tout cela est bien sûr vieilli. Tel qu’on l’entend maintenant, préconiser est un verbe qui fonctionne plutôt dans le sens de « recommander vivement et avec insistance quelque chose à quelqu’un ». En effet de nos jours, et davantage dans le sens qui nous occupe ici, préconiser remet surtout à l’idée de « conseiller à un malade l’utilisation d’un remède précis que l’on juge efficace », comme indique la version informatisée du Trésor de la Langue Française.
À un animal de compagnie, qui n’est pas doté de la faculté de pondérer, on ne recommande rien. Ce ne sont pas des conseils non plus qu’on prétend lui donner. De mode qu’il est difficile de penser à la préconisation dans le cas de la relation entre humains et bêtes.
Soit. Avançons. Mais avant de savoir ce que dit la science à propos de l’ingestion de CBD par des animaux, autorisons-nous deux-trois détours conceptuels concernant la perfusion de liberté par les libéraux.
Préconisation du CBD : morale de l’histoire ou histoire d’une morale ?
Comment pourrait-on placer le cannabis et ses dérivés dans la vieille idée de liberté individuelle ? C’est une âpre question qui ne veut se taire ; et à laquelle nous ne prétendons pas donner des réponses, mais des pistes pour que nos lecteurs puissent les formuler avec leurs propres moyens.
Dans un de ses cours prononcés au Collège de France lors de l’année 1979, Michel Foucault proclama qu’une des particularités du nouveau modèle économique conçu à l’entrée du XIXe siècle par les puissances européennes était que, pour que ce modèle pût fonctionner, il a fallu assurer aux citoyens le droit de croire en leur propre liberté. Au fil des décennies, ce droit, de nature essentiellement économique, pour lequel les populations du monde occidental continuent de se battre, a pris l’allure d’un droit naturel. Mais c’est après s’être immiscé dans le cœur de l’individu qu’il a effectivement adopté la forme de la croyance, parfois même de la foi. L’individu souverain des sociétés républicaines peut en effet être défini par son désir de liberté, surtout celle de choisir. Nul ne serait à même de douter qu’un des buts premiers de l’homme contemporain est celui de devenir le maître univoque de ses propres choix.
Pouvoir agir selon sa propre volonté, voilà la promesse faite encore de nos jours au citoyen libre et cultivé. Il est vrai que nous voulons des choses, des produits nouveaux, présentés parfois comme des remèdes à des maux profonds, comme l’est par exemple le CBD par certains de ses revendeurs. Faudrait-il encore être conscient des dispositifs entourant inaliénablement tout consommateur, le poussant à vouloir ceci plutôt que cela. La pléthore de marchandises qui sature l’espace publique est en ce sens un signe éblouissant de la rentabilité de la volonté de choisir qui règne au sein de ce que le sociologue étasunien Thorstein Veblen nommait « classe de loisir ». Dans ce contexte, trouver le produit qui correspond à ma complexion devient une activité de plus en plus ardue. Dans le supermarché total des nouveautés et des promesses, nombreuses sont les variantes, mirifiques les stimulations. Et quand on croit avoir trouvé le produit adapté, un nouveau en sort, plus performant, moins nuisible.
Or, ce n’est pas non plus l’idée qu’une chose est bonne qui me pousse toujours et nécessairement à la choisir pour moi. « Je vois le meilleur, je l’approuve ; je fais le pire » (Video meliora proboque, deteriora sequor), aurait dit Ovide du haut d’une colline ensoleillée de la vieille Rome. Dans une société véritablement libre, l’individu qui ne fait pas uniquement ce qu’il entend pour bon n’est pas jeté aux fers de la honte. L’erreur est le goudron de la route de l’éducation ; sans elle, pas d’apprentissage. De plus, et toujours d’après les Anciens, il n’y a pas de vertu qui ne fut un jour un vice, pas de vice qui ne fut un jour une vertu.
Il n’empêche que le geste de choisir pour soi n’est pas le même que celui de choisir pour autrui. Vouloir pour soi peut relever d’une manifestation de la morale ; vouloir pour l’autre peut faire basculer l’individu qui désire dans le moralisme.
Bien sûr, pas question de choisir pour un autre mais de conseiller. Dans la mesure où je constate que la prise de CBD, par exemple, éveille en moi une sensation de bien-être, il est tout de même naturel que je veuille partager cela avec des personnes de mon entourage. Quoi qu’il en soit, dans mon cas comme dans celui d’un de mes proches, il est toujours recommandé par les autorités sanitaires européennes d’avoir recours à l’avis d’un médecin avant de passer à la consommation des fleurs de cannabis riches en CBD ou de ses dérivés.
Tout ce que nous avons jusqu’alors mentionné au sujet de la liberté de choisir conduisait à souligner ceci : quand un ami me recommande le CBD ou un médecin me le prescrit, je reste libre de dire non. Nous arrivons ici au cœur d’un des débats pouvant facilement se faire autour de l’administration aux animaux de tout genre de substances en cours d’évaluation scientifique.
CBD : bon pour les animaux d’après qui ?
Nul besoin d’être un expert pour se rendre compte que la recherche la plus élémentaire sur n’importe quel moteur virtuel contenant le terme CBD ou Cannabidiol débouche sur un océan de résultats. Incomptables sont les sites proposant des explications et descriptions plus ou moins complètes des cannabinoïdes et leurs effets. Force est néanmoins de reconnaître que, sur les moteurs de recherche les plus performants, les sites les mieux référencés concernant ce sujet sont des sites commerciaux.
Certes, ce n’est pas parce que la description d’un produit se trouve sur le site de son revendeur qu’elle est forcément faussée. Mais elle est toujours positive. Il faudrait être fou ou naïf pour ne pas se dire au bout de quelques secondes de réflexion que toute information potentiellement négative d’un produit est automatiquement omise de son slogan respectif (rédigé dans le seul but de le promouvoir, de le vendre).
Notre objectif ici est celui de bâtir un socle solide de connaissance autour du cannabis dit thérapeutique et ses dérivés. Sur notre site, on essaye de changer la tendance. Nous accordons une attention particulière aux sources. Il est toujours question pour nous de nous remettre à des experts, à des chercheurs agrées, à des documents validés par des pairs, à des revues spécialisées, à des instituts reconnus. Ce qu’ils nous offrent comme réponse aux questions que nous leurs posons est toujours, d’une manière ou d’une autre, pris en compte, même si ce n’est pas vendeur. Car avant de chercher à vendre, nous cherchons à bien nous renseigner.
Compte-rendu scientifique sur la prise du CBD par les animaux
Le National Center for Biotechnology Information (Centre National pour l’Information Biotechnologique), un organe de la United States National Library of Medicine (Bibliothèque Nationale de Médecine des États-Unis d’Amérique) – branche du National Institutes of Health (Institut National de la Santé – NIH) –, met à disposition du public un site internet pour le moins utile en matière de connaissance scientifique sur le CBD. Le contenu du site ayant naturellement été rédigé en langue anglaise, nous avons décidé de traduire pour nos lecteurs quelques-uns de ses passages-clefs. Au fil de nos publications, des extraits issus de cette riche base de données viendront donc nous aider à solidifier nos connaissances communes autour du CBD.
Voici la traduction partiale du résumé d’un article paru en octobre 2020 qui devrait pouvoir nous permettre de conclure notre raisonnement autour de la relation entre CBD et animaux de compagnie.
« Le Cannabidiol (CBD), un constituant non-psychotrope majeur du Cannabis, possède de multiples actions pharmacologiques, y compris des propriétés anxiolytiques, antipsychotiques, antiémétiques et anti-inflammatoires. Toutefois, le savoir concernant le profil de sa sureté et ses effets secondaires sur des animaux et humains reste mince. […] Selon les avancées récentes dans l’administration de cannabinoïdes aux humains, il est permis de dire que la prise contrôlée de CBD par humains et animaux est sans danger. Toutefois, pour clarifier les rapports in vivo et in vitro de ses effets secondaires, davantage d’études sont encore nécessaires. »
Limites herméneutiques de la conclusion
L’inversion dans l’ordre de deux phrases de l’extrait présenté ci-dessus donnerait ceci : « Selon les avancées récentes dans l’administration de cannabinoïdes aux humains, il est permis de dire que la prise contrôlée de CBD par humains et animaux est sans danger. Toutefois, le savoir concernant le profil de sa sureté et ses effets secondaires sur des animaux et humains reste mince. »
Comme nous l’avons mentionné, les articles publiés sur des sites commerciaux n’offrent uniquement que des informations encourageant l’achat de tel ou tel produit. Il se peut par conséquent que leur lecteur y soit informé que la prise du CBD par les animaux de compagnie est sans danger mais non pas que « le savoir concernant le profil de sa sureté et ses effets secondaires sur des animaux et humains reste mince ».
Pour notre part, nous invitons nos lecteurs à la prudence. Dire d’un médicament qu’il n’a pas de danger n’est pas dire que sa prise est nécessaire voire préconisée. En outre, notre texte a le mérite de montrer que la science connaît bien peu en matière d’effets secondaires pour nous puissions prétendre que nos animaux de compagnie sortiraient indemnes d’une prise de Cannabidiol administré sans accompagnement.
Tout compte fait, la décision d’administrer du CBD à nos animaux de compagnie passe par l’interprétation aussi bien du contexte dans lequel tel ou tel sujet se trouve que des comptes-rendus scientifiques en la matière – qui sont parfois ambigus mais déterminent bel et bien aujourd’hui que le CBD est pour les animaux sans danger. Consulter un spécialiste du secteur pharmacologique ou clinique reste somme toute la résolution préliminaire la plus indiquée à prendre dans ce cas.